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La procédure de création de commune nouvelle précisée (Conseil d’État, 03 décembre 2025, n°468964, Publié au recueil Lebon)

Cet arrêt du Conseil d’État constitue une décision majeure en matière de création de communes nouvelles et de régularisation des vices de procédure. Sa publication au recueil souligne l’importance de la présente décision destinée à guider l’interprétation de l’article L. 2113-2 du Code général des collectivités territoriales.

Dans cette affaire, les conseils municipaux des communes de Coudray-Rabut et de Pont-l’Evêque ont, par délibérations concordantes adoptées le 5 et 11 septembre 2018, demandé la création de la commune nouvelle de Pont-l’Evêque en application des dispositions de l’article L. 2113-2 du CGCT. Le préfet du Calvados a ensuite créé cette commune nouvelle par un arrêté du 17 décembre 2018 avec effet au 1er janvier 2019.

L’Association pour la sauvegarde de l’identité de la commune de Coudray-Rabut a contesté cet arrêté devant le tribunal administratif de Caen, faisant notamment valoir que les comités techniques compétents n’avaient pas été consultés préalablement aux délibérations des conseils municipaux.

En réponse à cette contestation, le préfet du Calvados a pris un nouvel arrêté le 17 juillet 2019, publié le 22 juillet 2019, confirmant la création de la commune nouvelle après avoir obtenu un avis favorable du comité technique de la commune nouvelle de Pont-l’Evêque le 7 juin 2019, et à la suite d’une délibération du conseil municipal de la commune nouvelle en date du 11 juin 2019.

Le tribunal administratif de Caen a rejeté les demandes de l’association par un jugement du 21 décembre 2020. L’association a interjeté appel devant la cour administrative d’appel de Nantes, qui a confirmé le jugement (CAA Nantes, 16 septembre 2022, n° 21NT00349). L’association s’est alors pourvue en cassation devant le Conseil d’État.

Devant le Conseil d’État, l’association requérante a développé plusieurs moyens d’annulation :

  • Elle fait valoir que la création de la commune nouvelle était entachée d’un vice de procédure en raison de l’absence de consultation préalable des comités techniques des anciennes communes avant les délibérations des conseils municipaux des 5 et 11 septembre 2018 ;
  • Elle soutient que les élus de Coudray-Rabut n’avaient pas reçu une information suffisante pour se prononcer utilement sur la délibération demandant la création de la commune nouvelle, et que la note explicative de synthèse adressée aux membres du conseil municipal de Pont-l’Evêque n’était pas conforme aux exigences de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ;
  • Elle argue que le préfet avait commis une erreur manifeste d’appréciation en prononçant la fusion des communes ;
  • Elle soulève un moyen relatif à la régularisation de l’arrêté préfectoral et à la question de savoir si cette régularisation était intervenue au cours de l’instance d’appel ou devant le tribunal administratif.

Le Conseil d’État rejette les demandes de l’association en précisant les éléments suivants :

Sur le moyen relatif à l’obligation de consultation des comités techniques

Le Conseil d’État a d’abord rappelé que la consultation du comité technique, prévue par l’article 33 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale (désormais codifié à l’article L. 253-5 du code général de la fonction publique), a pour objectif d’associer les personnels à l’organisation et au fonctionnement du service et d’éclairer les organes compétents de la collectivité

La Haute juridiction a jugé qu’un projet de création de commune nouvelle, en vertu de l’article L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales, soulève nécessairement des questions relatives à l’organisation et au fonctionnement des services des communes concernées. Par conséquent, la consultation du comité technique compétent doit intervenir avant que le conseil municipal ne délibère sur un tel projet, même si l’article L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales ne le prévoit pas expressément.

5. La consultation du comité technique dans les conditions prévues à l’article 33 de la loi du 26 janvier 1984, cité au point 3, a pour objet, en associant les personnels à l’organisation et au fonctionnement du service, d’éclairer les organes compétents de la collectivité auprès desquels est institué le comité technique. Un projet de création d’une commune nouvelle en application des dispositions de l’article L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales, cité au point 2, soulève des questions relatives à l’organisation et au fonctionnement des services de chacune des communes concernées. Par suite, il résulte de la combinaison de ces dispositions que la consultation du comité technique compétent doit intervenir avant que le conseil municipal ne prenne parti sur un tel projet, sans que puisse y faire obstacle la circonstance que l’article L. 2113-2 du code général des collectivités territoriales ne prévoit pas expressément une telle consultation préalable. Une telle consultation constitue pour les personnels des communes concernées une garantie qui découle du principe de participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail consacré par le huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.

Cependant, le Conseil d’État a rappelé le principe selon lequel un vice de procédure n’entache d’illégalité une décision que s’il a été susceptible d’exercer une influence sur le sens de la décision ou s’il a privé les intéressées d’une garantie.

En l’espèce, le juge a constaté que l’arrêté initial du 17 décembre 2018 avait effectivement été pris sans consultation préalable des comités techniques des anciennes communes. Néanmoins, il a relevé que le préfet avait confirmé la création de la commune nouvelle par un nouvel arrêté, pris après avis favorable du comité technique de la commune nouvelle, représentant l’ensemble des agents des deux communes fusionnées et après une délibération unanime du conseil municipal de la commune nouvelle.

Dans ces circonstances particulières, le juge admet la régularisation alors même que la commune nouvelle était déjà créée au moment de la consultation. Le Conseil d’État considère que la consultation du comité technique de la nouvelle entité, représentant l’ensemble des agents concernés, permet de purger le vice initial, dès lors que cette consultation a effectivement permis d’assurer la garantie recherchée :

« 6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond, d’une part, que l’arrêté du 17 décembre 2018 créant la commune nouvelle de Pont-l’Evêque a été pris sans que les comités techniques compétents aient été consultés préalablement aux délibérations des 5 et 11 septembre 2018 des conseils municipaux de Coudray-Rabut et de Pont-l’Evêque demandant cette création, d’autre part, que le préfet du Calvados a confirmé la création de la commune nouvelle par un nouvel arrêté du 17 juillet 2019 pris sur proposition unanime du conseil municipal de la commune nouvelle, regroupant l’ensemble des membres en exercice des conseils municipaux des deux anciennes communes, après avis du comité technique nouvellement élu, représentant l’ensemble des agents des deux communes fusionnées. En estimant, dans les circonstances de l’espèce, que la consultation des comités techniques des anciennes communes était impossible et que la consultation du nouveau comité technique avait effectivement assuré au personnel des communes fusionnées la garantie que représente la consultation de ses représentants préalablement à la délibération du conseil municipal demandant la fusion, la cour administrative d’appel a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation. Dans ces conditions, la cour a pu juger, sans commettre d’erreur de droit, que l’arrêté du 17 juillet 2019 avait régularisé le vice de procédure dont était entaché l’arrêté du 17 décembre 2018. Ayant constaté cette régularisation, la cour n’a pas entaché son arrêt de contradiction de motifs en s’abstenant d’annuler cet arrêté, alors même qu’elle avait relevé qu’il avait à l’origine été pris au terme d’une procédure irrégulière, et elle a implicitement mais nécessairement écarté le moyen tiré de ce que l’arrêté du 17 juillet 2019 ne pouvait donner à la création de la commune nouvelle un effet antérieur à la consultation du nouveau comité technique. »

Sur le moyen tiré du manque d’informations des membres des conseils municipaux

le Conseil d’État a confirmé l’appréciation de la cour administrative d’appel qui estimait que pour chacune des anciennes communes, les élus disposaient de documents leur permettant de se prononcer utilement sur la fusion et la création de la commune nouvelle :

  • Pour l’ancienne commune de Coudray-Rabut, les élus avaient reçu, avant la délibération du 5 septembre 2018, la dernière version du projet de charte de la commune nouvelle et un tableau sur l’évolution de la fiscalité (considérant 8)
  • Pour l’ancienne commune de Pont-l’Evêque, avant la délibération du 11 septembre 2018, le projet de charte et une note explicative de synthèse détaillée sur la situation des communes, l’impact de la fusion sur les charges, la fiscalité et les dotations (considérant 9)

Le Conseil d’État a jugé que ces éléments ainsi présentés étaient conformes aux exigences de l’article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales, sans dénaturation et sans insuffisance de motivation.

Sur le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation du préfet

Le Conseil d’État a considéré que la cour administrative d’appel avait suffisamment motivé son arrêt et porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation en considérant :

  • que les communes de Coudray-Rabut et Pont-l’Évêque étaient contiguës, faisaient partie du même syndicat intercommunal d’assainissement,
  • étaient soumises au même plan local d’urbanisme intercommunal,
  • que l’endettement de Pont-l’Evêque était normal
  • que les effets fiscaux de la fusion seraient progressifs pour les habitants de Coudray-Rabut tout en leur offrant des services élargis.

Sur la base de ces éléments, la cour avait pu déduire que le préfet n’avait pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en prononçant la fusion entre les deux anciennes communes.

Sur le moyen tiré du moment de la régularisation

Enfin, le Conseil d’État a confirmé que la régularisation de l’arrêté préfectoral du 17 décembre 2018 par l’arrêté du 17 juillet 2019 était intervenue au cours de l’instance devant le tribunal administratif, et non en appel. Par conséquent, la cour administrative d’appel n’a pas commis d’erreur de droit en considérant l’association comme partie perdante devant elle au sens de l’article L. 761-1 du code de justice administrative.

Cette décision présente plusieurs enseignements majeurs :

  • elle clarifie les exigences procédurales applicables à la création des communes nouvelles, en soulignant l’importance de la consultation des comités techniques ;
  • elle illustre l’application de la théorie de la régularisation des actes administratifs dans un contexte particulier.

Il montre qu’un vice de procédure substantiel peut être régularisé par un acte ultérieur, à condition que cet acte assure la même garantie et intervienne dans un cadre permettant de pallier l’irrégularité initiale.

La spécificité de la régularisation dans le cas d’une commune nouvelle tient au fait que la consultation des comités techniques des anciennes entités devient inopérante après la fusion, rendant nécessaire la consultation du comité technique de la nouvelle entité pour satisfaire l’exigence de consultation des personnels.