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Inapplication d’une remise sur le prix d’un marché public, méconnaissance de l’obligation de contrôle de la dépense par le comptable public et sanction (Cour des comptes, 13 mai 2025, Commune d’Éguilles, n° S-2025-0647)

La Cour a condamné sur le fondement de l'article L. 131-9 du CJF, un comptable public à 7.500 euros d'amende pour avoir méconnu ses obligations de contrôle de l'exactitude de la liquidation de la dépense et de la cohérence des pièces justificatives, générant la surfacturation d'un marché public de travaux dont le préjudice a été évalué, le concernant, à plus de 280.000 euros. 

Cette décision délivre des enseignements tant s’agissant de la caractérisation de l’infraction (gravité de la faute, enjeu financier, prononcé d’une sanction malgré l’absence de préjudice au jour du jugement) que sur la dispense de peine.

Dans les faits, un marché public de travaux à bons de commande avait été conclu entre la commune d’Éguilles et une entreprise de bâtiment en juillet 2018. La conclusion du contrat faisait suite à une phase de négociations permettant à la commune de bénéficier d’une réduction du prix de 28% par rapport à l’offre initiale.

Cependant, il ressort de l’instruction que l’entreprise n’a pas appliquée dans ses factures la remise négociée, malgré la jonction lors du premier paiement du BPU final. Les « mauvais prix » n’ont pas été contrôlés et ont permis une surfacturation des prestations à la charge de la commune.

S’agissant de la caractérisation de l’infraction codifiée à l’article L. 131-9 du CJF, la Cour a considéré que les trois conditions étaient réunies :

  • Dans un premier temps, elle a considéré qu’à défaut d’avoir contrôlé l’exactitude de la liquidation et la cohérence des pièces justificatives qui auraient permis de détecter l’erreur, le comptable a méconnu ses obligations.
  • Dans un deuxième temps, elle juge que si cette faute est « en elle-même » grave, sa répétition systématique est un élément objectif supplémentaire de gravité. Par ailleurs, la Cour rappelle qu’il ne faut pas confondre l’importance de l’enjeu financier qui contribue à qualifier la gravité de la faute, de l’existence d’un préjudice financier. En l’occurrence, elle considère que l’importance du marché compte tenu de la situation financière de la commune constituait un enjeu financier important.
  • Dans un troisième temps, la Cour réaffirme le principe selon lequel il n’est pas nécessaire d’établir le montant exact du préjudice éventuel, mais que son ordre de grandeur doit être évalué avec une précision suffisante pour être ensuite apprécié au regard des données financières de la commune. Le préjudice imputable au comptable mis en cause est évalué à 281.505 euros (soit 1,8% des dépenses totales de la commune en 2019 et 4,3% des dépenses d’équipements). De ce fait, la Cour le juge significatif.

Cette décision nous apporte deux enseignements sur la caractérisation de l’infraction. Tout d’abord, les circonstances qui entourent la réalisation des manquements ne sont pas de nature à réduire la gravité de la faute en tant qu’élément constitutif de l’infraction, mais sont des éléments de discussion appréciés lors de l’examen des circonstances de l’affaire. Ensuite, le régime répressif de la RGP est distinct du contentieux de la réparation antérieur en ce qu’il repose sur le respect de l’ordre public financier. Dès lors, la Cour juge que les éléments constitutifs de l’infraction doivent être appréciés au jour de leur commission, nonobstant une éventuelle réparation du préjudice intervenue avant le jugement. La circonstance tenant à la disparition ou la réparation d’un préjudice ne permet que de moduler la sanction et n’est en rien un élément constitutif de l’infraction. Autrement dit, la Cour n’a pas retenu la défense fondée sur la compensation du préjudice.

S’agissant des circonstances de l’affaire, outre l’analyse des circonstances atténuantes et aggravantes, la Cour précise que la dispense de peine prévue à l’article L. 131-19 du CJF n’est pas une relaxe et suppose la réunion de deux conditions cumulatives laissées à l’appréciation du juge : la réparation du dommage et la cessation du trouble causé. Pour écarter cette disposition, elle juge qu’il n’est pas prouvé que le dommage est intégralement réparé en l’absence du versement des intérêts légaux. En tout état de cause, elle relève que le comptable n’a en rien participé à la réparation du préjudice, écartant par principe l’application de cette dispense.