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Cour des comptes, 14 nov. 2025, Chambre départementale d’agriculture de Lot-et-Garonne, n° S-2025-1664

Dans cet arrêt fleuve, la Cour a reconnu la responsabilité de plusieurs justiciables pour des montants significatifs. A noter que le panel des infractions était large, avec 5 infractions différentes poursuivies. A retenir également, le cumul entre l'action pénale et financière, et le fait que la Cour ait écartée a deux reprises l'infraction d'octroi d'un avantage injustifié en l'absence, justement du caractère injustifié de l'avantage. 

La Procureure générale avait renvoyé l’ancien président de la CDA, deux anciens vice-présidents, un membre du bureau et un agent pour des faits portant sur la construction d’une retenue d’eau sans autorisation, sur le versement irrégulier d’aides pécuniaires et en nature aux éleveurs du département, sur la production des comptes annuels, sur l’inexécution de condamnations de la CDA par la cour d’appel d’Agen et sur des paiements effectués sans autorisation par un agent du service comptabilité de la CDA. 

L’arrêt illustre en premier lieu l’application du principe de non bis in idem lorsque les faits poursuivis ont déjà fait l’objet d’une condamnation par le juge pénal. Rappelant la jurisprudence du Conseil constitutionnel M. Stéphane R. du 1er juillet 2016 (n° 2016-550 QPC) selon laquelle des mêmes faits peuvent faire l’objet de poursuites différentes aux fins de sanctions différentes, en application de règles distinctes. La Cour juge que les poursuites pénales visaient à réprimer les atteintes à l’environnement et aux personnes, quant l’action financière sanctionne les atteintes à l’ordre public financier. Ce moyen a donc été écarté.

En second lieu, sur le fond, plusieurs faits étaient imputés aux mis en cause :

  1. S’agissant de la construction de la retenue d’eau, il est reproché d’avoir construit cet ouvrage en « dépit de multiples décisions administratives et judiciaires » alors que la CDA ne disposait pas des autorisations nécessaires ni de la compétence. La Cour précise que cette faute, qui n’est pas strictement une faute d’engagement, de liquidation ou d’ordonnancement d’une dépense, n’est pas détachable d’une procédure d’exécution d’une dépense publique. Sa gravité tient à plusieurs éléments (méconnaissance d’un règlement d’engagement d’une dépense et du principe de spécialité), mais la lecture de l’arrêt met en lumière l’intentionnalité et la réitération des faits dans le temps. Quant au préjudice, il est composé des dépenses occasionnées par la construction de l’ouvrage (augmenté des condamnations de la CDA et des astreintes dont elle est redevable), dont le montant n’a pu être évalué avec précision, mais estimé à 4,2 millions d’euros. Ce montant a été considéré comme significatif par rapport aux produits d’exploitation ou les charges d’exploitation. A noter que l’arrêté préfectoral postérieur à la réalisation de l’infraction (qui en l’occurence n’avait pas pour effet de régulariser la situation), n’a pu être pris en compte à ce stade étant donné que les éléments sont appréciés au jour où les faits ont été commis.
  2. S’agissant des conditions de réalisation de la retenue d’eau, la Cour retient que la CDA a eu recours aux prestations d’une société et d’une association en méconnaissances des règles de la commande publique. Néanmoins, elle juge que le dossier ne lui a pas permis d’établir que les dépenses irrégulières n’ont pas eu de contrepartie réelles. L’absence de préjudice (les faits supposés d’appliquer l’ancien texte), exclue donc l’infraction d’avantage injustifié.
  3. S’agissant de l’inexécution des décisions de justice, la Cour rappelle que la CDA avait été condamnée à 2.000 euros par le juge pénal sans qu’elle se soit acquittée du paiement de l’amende. De la même manière, la CDA et es élus ont été condamnés solidairement à 74.000 euros. Le règlement total a été effectué tardivement.
  4. S’agissant de la non-production des comptes, la Cour retient que les comptes de la CDA ne pouvaient être considérés comme sincères, fiables et donnant une image fidèle de son patrimoine, de sa situation financières et de son résultat. Dès lors, le compte a été considéré comme non produit.
  5. S’agissant du versement d’aides pécuniaires et en nature aux éleveurs, la CDA avait décidé du don de 10 animaux (d’abord bovins puis étendus à d’autres espèces) en 2019. Seulement, la CDA (pourtant prévenue par le DG de l’obligation de respecter les règles de publicité et de mise en concurrence), a acquis essentiellement les bovins auprès d’un fournisseur sans procédure. Cette méconnaissance des règles de la commande publique a amené à une dépense indue (presque 300.000 euros) constituant un avantage injustifié. Le préjudice tient au fait que les paiements avaient un objet illicite. L’intérêt personnel est jugé comme constitué car les élus de la CDA étaient membres du syndicat agricole et donc appartenaient à la même communauté d’intérêts. Le trésorier du syndicat (principal prestataire) et membre du bureau de la CDA a par ailleurs participé aux réunions d’approbation et de validation, démontrant là encore un intérêt personnel.
  6. S’agissant des ordres de paiement émis par un agent de la CDA à l’insu du comptable public, la CDA avait recruté un agent sur un poste de comptabilité qui avait reçu une délégation de signature du comptable public, lui permettant de procéder aux mouvements en son absence. Dans un contexte budgétaire où la CDA avait interdiction d’engager des dépenses d’investissement, l’agent a toutefois réglé deux factures pour l’achat de véhicules alors que le jour même, le comptable public avait rappelé l’interdiction. En se prévalant d’une autorité qu’il n’avait pas, l’agent de la CDA s’est rendu coupable de gestion de fait.
  7. S’agissant enfin des conditions de recrutement d’un agent de la CDA, l’agent comptable évoqué au point précédent était le fils du président de la CDA. Si la Cour retient une situation de conflit d’intérêts, dont le lien de parenté constitue un intérêt au sens de l’article L. 131-12, elle écarte l’infraction en l’absence de caractère injustifié de l’avantage au motif que les traitements versés à l’agent n’étaient pas manifestement excessifs et que la rémunération n’en n’était pas moins due.

La Cour retient de nombreuses circonstances aggravantes, dont notamment la persistance à vouloir construire la retenue en connaissance de l’illégalité de la décision. Elle retiendra donc des amendes de 14.000 euros contre l’ancien président, 7.000 et 5.000 euros contre les anciens vices-président et membres du bureau, 5.000 euros contre l’agent comptable de la CDA et enfin 2.000 contre un ancien membre du bureau de la CDA.