ActualitésContentieuxInjonctionRéféré-suspensionVeille juridique

Caractérisation de l’urgence en référé-suspension fondée sur de simples éventualités (non)

Conseil d’État, 4ème – 1ère chambres réunies, 06/05/2025, 496890, B (décision mentionnée aux tables du recueil Lebon)

Le recteur de l’académie de Paris a refusé, par une décision du 25 juin 2024, d’affecter la fille des requérants dans les lycées Charlemagnes ou Henri-IV. Les requérants ont alors demandé au juge des référés du tribunal administratif de Paris, sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, d’une part, de suspendre l’exécution de ladite décision du recteur et, d’autre part, d’enjoindre à ce dernier d’examiner à nouveau leur demande tendant à l’affectation de leur fille dans un des lycées cités et, s’il y a lieu, de l’admettre, au moins provisoirement, au lycée Charlemagne.

Le tribunal administratif a fait droit à la demande des requérants et en exécution de l’ordonnance le recteur de l’académie de Paris a affecté leur fille dans le lycée Charlemagne. Le ministre de l’éducation nationale et de la jeunesse a contesté cette ordonnance en formant un pourvoi en cassation.

Le Conseil d’État a annulé ladite ordonnance et a rejeté les demandes des requérants au motif que les éléments apportés par ces derniers ne justifiaient pas de l’urgence à suspendre l’affectation de leur fille dans un autre lycée que ceux souhaités.

Cette décision permet de revenir sur la condition d’appréciation de l’urgence en matière de référé-suspension. En effet, le juge administratif regarde comme remplie la condition d’urgence dès lors que « (…) la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre (…) » et apprécie cette dernière « (…) concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant (…) » (CE, 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres).

Ainsi, le juge du référé-suspension, qui ne peut prononcer que des mesures provisoires, vérifie si les conditions cumulatives de gravité et d’immédiateté sont réunies, à défaut l’urgence ne peut être caractérisée.

Tel a été le cas en l’espèce. Le Conseil d’État retient que les arguments des requérants portant notamment sur la perte de chance de leur fille d’être admise à terme dans une classe préparatoire aux grandes écoles, sur la difficulté de réaliser ledit projet ou encore sur le caractère très préjudiciable d’un changement d’établissement à raison d’une éventuelle annulation pour excès de pouvoir, ne permettent pas de justifier de l’urgence à suspendre la décision initiale du recteur.

En ce sens, il estime que :

« Ces éléments constituent des circonstances reposant sur de simples éventualités et n’emportent pas d’atteinte suffisamment immédiate à la situation des requérants et de leur fille. »

Par cette décision, le juge administratif pose le curseur de l’appréciation de l’urgence en matière de parcours scolaire. La décision d’affectation d’une élève dans un lycée qui ne possède pas une classe préparatoire aux grandes écoles alors que son projet d’enseignement supérieur est d’intégrer une classe préparatoire dont la sélection se fait par « Parcoursup » au regard du lycée fréquenté, n’est pas de nature à porter préjudice de manière suffisamment immédiate à cette dernière.

Déconnexion de la réalité ou pragmatisme exacerbé ? Le juge du référé-suspension reste un juge de l’urgence.