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Prescription de l’action disciplinaire : le Conseil d’État précise le point de départ en cas de condamnation pénale (Conseil d’État, 24 juin 2025, n° 476387, publié au recueil Lebon)

Par une décision du 24 juin 2025, le Conseil d’État apporte des précisions sur le régime de prescription de l’action disciplinaire à l’encontre d’un agent public condamné pénalement. Cet arrêt éclaire notamment le point de départ du délai de prescription de trois ans prévu par l’article L. 532-2 du code général de la fonction publique, issu de la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

M. A., professeur certifié détaché auprès de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), a été condamné le 26 février 2016 par une cour d’assises à dix ans de réclusion criminelle pour complicité de violences volontaires avec arme ayant entraîné une infirmité permanente sur une personne chargée d’une mission de service public. Cette condamnation est devenue définitive en l’absence de pourvoi en cassation. Le 23 septembre 2019, soit plus de trois ans après la décision pénale, le ministre de l’Éducation nationale prononce la révocation de l’agent. Cette sanction est annulée successivement par le tribunal administratif de Lille, puis par la cour administrative d’appel de Douai. Le ministre forme alors un pourvoi en cassation.

Le Conseil d’État devait se prononcer sur la conformité de la procédure disciplinaire au regard du délai de prescription prévu par l’article L. 532-2 du CGFP, qui dispose que l’administration dispose d’un délai de trois ans, à compter de la date à laquelle elle a eu connaissance des faits, pour engager une procédure disciplinaire.

Dans un raisonnement en deux temps, le Conseil d’État clarifie l’articulation entre procédure pénale et prescription disciplinaire.

D’une part, sur le principe général du délai de prescription : Le Conseil rappelle que, depuis la loi du 20 avril 2016, l’action disciplinaire doit être engagée dans un délai de trois ans à compter du jour où l’administration a eu connaissance des faits. Toutefois, lorsque des poursuites pénales sont engagées dans ce délai ou sont en cours au moment où il commence à courir, le délai est suspendu jusqu’à ce que la décision pénale devienne définitive. Si l’administration n’a connaissance des faits qu’après la décision définitive, le délai court à compter de cette date de découverte.

Il résulte de ces dispositions que le délai entre la date à laquelle l’administration a eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur de faits passibles de sanction imputables à un fonctionnaire et la date où ce dernier est régulièrement avisé de l’engagement à son encontre d’une procédure disciplinaire ne peut excéder trois ans. Toutefois, quand des poursuites pénales viennent à être exercées à l’encontre du fonctionnaire après que ce délai a commencé à courir, ou quand de telles poursuites sont déjà en cours quand il commence à courir, le délai est interrompu jusqu’à l’intervention d’une décision définitive de classement sans suite, de non-lieu, d’acquittement, de relaxe ou de condamnation. Doit être regardée comme une décision pénale définitive au sens de ces dispositions une décision devenue irrévocable. Le délai de prescription recommence à courir pour trois ans à compter de la date à laquelle le caractère irrévocable de la décision est acquis, sans qu’ait d’incidence la date à laquelle l’administration prend connaissance de cette décision. En revanche, quand l’administration n’avait aucune connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur des faits jusqu’à ce qu’elle découvre l’existence d’une condamnation définitive, c’est la date à laquelle l’administration est informée de cette condamnation qui constitue le point de départ du délai de trois ans. 

D’autre part, sur l’application dans le temps de la loi de 2016 : Avant cette réforme, aucun délai de prescription n’était prévu en matière disciplinaire. Le Conseil d’État en conclut que la loi nouvelle s’applique aux faits antérieurs à son entrée en vigueur, mais que le délai ne peut commencer à courir avant le 22 avril 2016. Ainsi, si la décision pénale était devenue irrévocable avant cette date, le délai de trois ans court à partir du 22 avril 2016.

En l’espèce, la condamnation pénale de M. A. est devenue définitive en février 2016. Le délai de prescription disciplinaire a donc commencé à courir le 22 avril 2016, date d’entrée en vigueur de la loi et faute de prouver la date de connaissance des faits. L’administration ne pouvait engager une procédure au-delà du 22 avril 2019. Or, l’agent n’a été informé de l’engagement de la procédure disciplinaire que le 4 mai 2019. La sanction disciplinaire étant intervenue hors délai, elle est entachée d’illégalité.

Le Conseil d’État rejette ainsi le pourvoi du ministre et confirme l’analyse de la cour administrative d’appel, validant l’annulation de la sanction.