Un écart historique ne justifie pas une différence de tarifs d’un service public : Conseil d’État, 3e et 8e chambres réunies, 21 mai 2025 – n° 491124 (Mentionné au recueil Lebon)
Dans sa décision, le Conseil d’État s’est penché sur le fait de savoir si une collectivité pouvait légalement appliquer des tarifs différenciés à des usagers d’un même service public au motif d’un “écart historique” de tarification.
En l’espèce, les époux B., domiciliés dans la commune de Rives-en-Seine, contestaient deux délibérations du conseil communautaire de Caux Seine Agglo adoptées respectivement en décembre 2019 et décembre 2020. Ces délibérations fixaient les tarifs de redevance pour le service d’assainissement non collectif (ANC) au titre des années 2020 et 2021. Il ressortait de ces textes que les usagers des sept communes ayant appartenu à l’ex-communauté de communes Cœur de Caux bénéficiaient de tarifs plus avantageux, du fait du maintien temporaire des conditions tarifaires antérieures à la fusion intercommunale opérée en 2017.
Les demandeurs estimaient que cette différenciation constituait une rupture d’égalité entre usagers d’un même service public. Ils ont saisi le tribunal administratif de Rouen, puis la cour administrative d’appel de Douai, qui ont tour à tour rejeté leurs requêtes. Ces derniers se sont alors pourvus en cassation devant le Conseil d’État.
Le Conseil d’État rappelle d’abord les principes fondamentaux applicables à la tarification des services publics à caractère industriel et commercial (SPIC), dont relève le service public de l’assainissement non collectif. Le tarif d’une redevance doit correspondre à la valeur de la prestation rendue, appréciée soit à partir du coût réel du service, soit en fonction de sa valeur économique pour l’usager.
Surtout, lorsque des différences tarifaires sont instaurées entre plusieurs catégories d’usagers, les collectivités doivent montrer :
Soit qu’il existe entre les usagers des différences de situation appréciables, soit qu’une nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service commande cette mesure. »
Cette exigence trouve sa source dans la célèbre décision Denoyez et Chorques de 1974, dont le Conseil d’État reprend ici l’économie.
En l’espèce, la cour administrative d’appel avait considéré que les écarts tarifaires observés étaient relativement faibles et justifiés par la volonté de procéder à une harmonisation progressive des tarifs, compte tenu d’un “écart historique” entre les anciennes communautés de communes. Elle avait ainsi admis que le maintien de cette disparité relevait d’une transition légitime, sans porter atteinte de manière excessive au principe d’égalité.
Le Conseil d’État censure toutefois ce raisonnement. Il juge que :
L’existence d’un écart historique de tarification ne constitue, en tant que telle, ni une différence de situation appréciable au regard des caractéristiques du service fourni, tenant par exemple à la reprise provisoire, pour les communes récemment intégrées, des contrats antérieurement conclus, ni une nécessité d’intérêt général en rapport avec les conditions d’exploitation du service, tenant par exemple à la circonstance que l’ampleur de cet écart imposerait des mesures transitoires.
L’administration ne peut invoquer un différentiel hérité pour maintenir des écarts, sauf à démontrer l’existence de circonstances particulières qui ont été rappelée.
Autrement dit, l’histoire tarifaire d’un territoire ne peut à elle seule constituer une base juridique suffisante pour déroger à l’égalité des usagers d’un même service public.